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Sibylle Maurin, Amaya Goumy

#14septembre : lycéennes revendicatrices

Dernière mise à jour : 8 avr. 2021

Quand des lycéennes s’indignent des discriminations sexistes au sein du lycée, des adultes s’interrogent sur les enjeux plus larges de la question des tenues vestimentaires : il y a comme un bouillonnement au Lycée Guez de Balzac en cette rentrée 2020 !



Le vêtement, sujet d’incompréhension

Dans plusieurs lycées de France, la rentrée scolaire a été marquée par un mouvement intitulé #14septembre, largement relayé par les réseaux sociaux, et né de la révolte de certains élèves contre l’injonction par les équipes éducatives, dans leur établissement, de porter des «tenues décentes». La polémique a encore enflé en France avec l’intervention du ministre de l’Éducation Nationale, Jean-Michel Blanquer, arguant de la nécessité pour les lycéens et les lycéennes de se conformer à une «tenue républicaine».


 

L’équipe de La Guezette est allée interroger quelques enseignants du lycée.

Pour Madame Belloteau, professeure d’Anglais, l’ampleur de la contestation visible le 14 septembre à Guez de Balzac est avant tout née d’un problème de communication et d’interprétation. Discrimination et malveillance des adultes à l’égard des lycéennes n’étaient en aucun cas recherchées. Pour elle, il s’agit surtout d’une étincelle révélatrice d’une troisième vague féministe, réclamant une véritable éducation des filles et des garçons, autour du corps, du respect, de l’égalité.

Quant à Madame Hoffschir, professeure d’Histoire-Géographie, ou à Monsieur Veillon, professeur de Français, il leur semble que l’émotion peut s’apaiser : la réalité, c’est qu’en tant qu’enseignants, ils ne voient pas les tenues des élèves ! Si des règles sont nécessaires, dans les différentes sphères de la société et donc aussi à l’école, pour protéger et garantir un code commun, il s’avère très difficile de fixer une longueur pour tel ou tel vêtement, une profondeur pour telle ou telle encolure ! Il est plus intéressant de faire appel au bon sens de chacun, car la notion même de «tenue correcte» est sujette à toutes sortes d’interprétations…


 

Le vêtement, un héritage culturel

Si cette notion de «tenue correcte» pose question, c’est aussi et surtout parce qu’elle évolue au fil du temps. L'époque, la société, la culture sont autant de facteurs qui déterminent les critères de la décence : de toute évidence, la tenue qualifiée de décente ou d’appropriée aujourd’hui ne correspond pas à celle décrite comme telle il y a 100 ans par exemple. De façon générale, les parties du corps habituellement ou depuis longtemps cachées posent problème à être vues : les «habitudes culturelles » jouent donc un rôle important dans ce questionnement. Mais la décence est aussi une notion morale et, en tant que telle, elle semble inévitablement varier en fonction des personnes.

C’est cette subjectivité que souligne Madame Hoffschir. Selon elle, la question s’avère sans fin s’il faut déterminer ce qui est ou ce qui n’est pas acceptable au lycée. Une jupe, suivant la morphologie ou même la personnalité de celle qui la porte, ne renverra pas la même image. Si une limite devait être posée, il serait cependant essentiel qu’elle s’applique à tout le monde, de manière parfaitement égale.

Les jeunes qui, auparavant, s’habillaient en mini-short pour sortir et aller en soirée revendiquent maintenant la liberté de s’habiller comme ils veulent aussi dans le cadre de l’école. C’est bien ici la marque d’une évolution et d’une volonté pour notre génération de «bousculer les archétypes » selon Monsieur Veillon. Ce même héritage culturel qui pose l’homme, le garçon, comme prédateur soumis à ses pulsions, et la fille comme proie, sensible et fragile, est aujourd’hui donc remis en question.


 

Le vêtement, reflet de l’âme

«L’habit ne fait pas le moine», mais il a quand même du sens. Si l’apparence ne définit certes pas notre valeur, ni notre aptitude à faire correctement notre travail, la façon que l’on a de s’habiller est bien porteuse de sens. Elle reflète notre originalité, notre façon de se poser dans le monde. Pour Roland Barthes, dans Système de la mode, le vêtement est bien le reflet de l’âme : on montre de nous ce qu’on veut que les autres voient.

On ne peut cependant pas exiger de la part des adolescents une totale maîtrise de ce qu’ils renvoient. L’adolescence, c’est aussi remettre en cause les normes établies et, justement, la tenue permet d’une part de se distinguer, et d’autre part de rentrer dans un groupe social.

Pour Monsieur Veillon, ce qu’il faut savoir, c’est ce qu’on veut dire de nous. «Ce que je dis de moi en me déshabillant», voilà ce sur quoi il faut s’interroger avant tout. Qu’est ce que j’entends en montrant telle ou telle partie de mon corps ? Suis-je manipulé.e par la mode ou suis-je en pleine conscience et possession de ma liberté ? Exercé-je mes droits, ma liberté? M’habillé-je en fonction de ma philosophie de vie ou juste par mimétisme, par tendance ? De la même façon, pour Madame Belloteau, si la tenue est assumée et portée en pleine confiance et conscience, elle ne devrait poser aucun problème.


 

Le vêtement au sein de l’école

Le lycée, pour les adolescents, c’est aussi une période de construction du genre, de la personnalité ; c’est une période où l’on teste sa propre représentation. Il est donc indéniable que la tenue d’une adolescente ne signifie pas la même chose si elle est portée par une adulte. Seulement, la problématique du mouvement semble reposer sur la place de l’école dans cette affirmation par laquelle l’adolescent doit inévitablement passer.

Pour Monsieur Grèverie, professeur de Sciences Economiques et Sociales, toute la problématique du #14septembre repose sur le jugement suivant : l’école est-elle un lieu à part de la société ou est-elle bien plutôt poreuse, intégrée à elle? Quand bien même on pourrait les contester, l'École transmet bien des codes. Elle façonne les mentalités mais prépare aussi à la société telle qu’elle est aujourd'hui. En d’autres termes, le lycée est-il un lieu de liberté ou, au contraire, est-il considéré comme un lieu professionnel, où l’on nous prépare à un futur métier?


Cette liberté de s’habiller comme on le souhaite dépendrait donc du point de vue, du regard, que nous portons sur l’école. Considérée comme un lieu de liberté, nous pourrions nous vêtir comme nous le souhaitons dans la limite de la loi. En revanche, si elle est considérée comme un lieu professionnel, de la même façon qu’elle l’est pour l’équipe éducative, alors il y a certaines restrictions vestimentaires à respecter.



 

Révolution, ou évolution ?

Les codes vestimentaires sont sexistes. Il s’appliquent majoritairement aux femmes. Au fil de l’histoire, on trouve des injonctions (d’ailleurs variables, on l’a vu) à être féminine, et donc à porter des jupes, corsets, faux-culs, décolletés hauts cintrés, tout en restant modérée. Ainsi une femme politique doit s’habiller en « homme politique » afin d’être prise au sérieux et de se faire respecter. Elle portera donc elle-aussi un tailleur accompagné d’une éventuelle jupe mais sans décolleté car cela pourrait paraître trop impudique.

Dans le cadre de l’école, l’uniforme pourrait apparaître comme une solution à ce problème. Mais, comme nous le fait remarquer Madame Hoffschir, l’uniforme présente un défaut majeur : il est genré. Les filles portent des jupes et les garçons des pantalons, cela pose donc problème quant à l’égalité des deux sexes.

Pour Monsieur Grèverie, l’égalité homme-femme est primordiale. Chacun, peu importe son sexe, doit être libre de pouvoir se vêtir comme il le souhaite tout en restant dans la limite de la loi. Or, selon Madame Hoffschir, on a toujours plus discuté de la tenue des femmes que de celle des hommes. Le rôle de l’école est d’éduquer, et éduquer à l’égalité fait également partie de ses tâches. Les remarques sexistes n’ont donc pas lieu d’être, elles disent un rapport erroné au corps de la femme.

Cette journée du 14 septembre pourrait donc être une contestation des élèves concernant la sexualisation du corps de la femme, nous dit Monsieur Veillon, Cette contestation est, selon lui, un lourd et long processus qui revendique un besoin de libération, de bousculer les archétypes et notre héritage culturel. Ce même héritage qui pose l’homme, le garçon comme un prédateur, soumis à ses pulsions et la fille comme une proie, sensible et fragile.

En tout cas, une chose est sûre : la nouvelle génération veut changer les choses, changer les règles de la société. Elle souhaite donner à ces règles peut-être plus de sens afin qu’elles deviennent plus justes et plus pensées.


Et si ce mouvement n’est pas une révolution, il n’en reste pas moins une évolution.


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