top of page
Noémie Genaud

Surdoué.e(s) et inadapté.e(s) ?

On a tous déjà entendu cette expression : « c’est un surdoué ». On en a tous une représentation plus ou moins claire. Souvent on l’emploie surtout « pour rire ». Le surdoué est pour certains un idéal, pour d’autres une p’tite moquerie souvent jetée sans grande méchanceté. Nous allons donc tenter de définir le terme, et de déconstruire nos éventuels préjugés.

Dans l’imaginaire collectif, un surdoué est un jeune garçon (de 8 à 15 ans la plupart du temps) avec un QI astronomique, qui a sauté un nombre incroyable de classes. Il est d’ailleurs forcément premier de sa classe. Au choix, génie des maths ou virtuose de la musique, il est souvent plutôt arrogant, on dira « conscient de son potentiel », parfois dédaigneux. Plus qu’à l’aise dans son domaine de prédilection, il est pourtant inadapté à la vie en société, il n’a que peu d’amis. Il a parfois cette réputation d’enfant gâté, à qui tout réussit, à qui on passera de toute façon tous ses caprices. En somme un petit Einstein ou Mozart, imperméable à l’échec.

Mais alors, qu’en est-il vraiment ?

S’il vous est arrivé de regarder un documentaire sur ceux qu’on appelle les surdoués, zèbres, les HP ou haut potentiels, vous aurez remarqué cette image très stéréotypée. Même caractère, même univers décalé, même passion pour des sujets très spécifiques, même tendance à agacer. Parce que les choix faits dans la réalisation de ce genre de documentaires sont souvent semblables, et pas toujours représentatifs.

Pour commencer, où sont les femmes ?

Il est certain qu’il y a autant de femmes « surdouées » qu’il y a d’hommes. Seulement, ces dernières sont bien moins souvent détectées (environ 1 femme détectée pour 4 à 5 garçons). Et, si on le doit sûrement pour partie au fait qu'on apprend aux petites filles dès le plus jeune âge que c'est à elles de "faire un effort" pour s'adapter, c’est aussi en grande partie à cause de ce stéréotype de l’enfant prodige, du « surdoué », doté d’une machine à tout comprendre. Pourtant cette conception est bien loin de la réalité de ceux qui renient d’ailleurs eux-mêmes ce terme de surdoué, pour tout ce qu’il sous-entend. S’il est bien trop utilisé comme péjoratif, c’est parce qu’il agace autant ceux à qui on voudrait coller cette étiquette, que ceux qui n’en font pas partie. Le surdoué a cette image de petit génie à l’air supérieur qui en énerve certains, et ça se comprend, mais qui est d’abord et surtout très éloignée de la réalité.

Qu'est-ce qu'un surdoué ?

Justement pas quelqu’un qui se trouve « doué » ! Ce qui explique sûrement qu’on soit passé ces dernières décennies au terme de haut potentiel, ou HP. On ne sait d’ailleurs pas bien qui l’a introduit, mais il semble qu’il convienne mieux à une bonne partie de la communauté. Est aussi utilisé le terme de « zèbre », introduit par Jeanne Siaud-Fachin (psychologue spécialisé dans le HPI). S’il peut prêter à sourire, il représente plutôt bien la situation et a pour avantage de déstigmatiser le surdoué « clône » : l’idée selon laquelle d’un HP à un autre, il existerait très peu de différences. En effet à première vue, d’un zèbre à un autre, peu de variations vous direz-vous. Mais en fait, à mieux y regarder, chaque animal a sa propre combinaison, ses propres rayures, un peu comme l’empreinte digitale chez l’homme, le rendant différenciable de ses congénères. Le HPI, douance, haut potentiel, ce sont des caractéristiques communes, tintées d’une individualité évidente, comme dans toute sous couche de la société.

Posons les bases

Qu’est-ce qui définit le HPI ? Beaucoup vous répondraient : le QI. Eh bien oui, mais pas uniquement. En effet, pour être « officiellement » HPI, il faut en théorie un Quotient Intellectuel supérieur à 130. Cela se détermine par un test ; le WAIS, au cours duquel on évalue différents facteurs sensés prouver que le sujet est donc « surdoué ». Les résultats à ce test se présentent sous la forme de ce qu’on appelle une courbe en cloche de Gauss. Un nom bien compliqué, pour pas grand-chose en fait. Ce type de courbe s’utilise pour définir une norme. Au milieu, le schéma type, au-dessus et au-dessous, les exceptions. Ceux qu’on appelle « surdoués » se retrouvant donc tout à droite de la courbe, les « sous-doués » tout à gauche. Et ce fonctionnement contribue à entretenir les préjugés. En effet, pour beaucoup, cette particularité se définit donc par cette « preuve d’intelligence » que constitue le test. De là découlent les stéréotypes associés à ceux qui se trouvent dans les parties extrêmes de la courbe (d’un côté comme de l’autre d’ailleurs). Mais parlons QI, et parlons HP. Passé les deux extrêmes donc (soit 70 à gauche, 130 à droite, la moyenne étant autour de 100 ou 110) on retrouve les sur et sous doués, représentant chacun un peu plus de 2 à 3 petits pour cents de la société.


Oui, deux pour cents de « surdoués ». Or, à cause de l’image erronée que l’on s’en fait, beaucoup se disent HP, sans vraiment l’être. On a tous vu passer ces publicités sur les réseaux où l’on résout un casse-tête, notre QI supposé s’affichant au fur et à mesure. Mais si, « si tu arrives à résoudre ce sudoku, tu as plus de 130 de QI » ou « seuls les surdoués peuvent résoudre ce casse-tête ». Eh bien au risque d’enfoncer des portes ouvertes, non, un jeu mobile ne peut pas vous donner en temps réel votre QI. Et d’ailleurs, même s’il le pouvait, ça ne ferait pas de vous un HP. Peu savent, en effet, que la détection du HPI ne comprend pas seulement le test WAIS. On passe aussi un « bilan émotionnel ». Il s’agit d’une entrevue avec un psychologue, pour évaluer, en fonction de votre histoire personnelle, s’il y a ou non une corrélation avec le tableau du haut potentiel. Eh oui, on peut être au-dessus des normes de QI, sans être « surdoué » pour autant. Il se peut d’ailleurs que quelqu’un soit officiellement détecté HP, en ayant eu un résultat un peu en dessous de 130 au WAIS, le stress pouvant altérer les résultats. On s’en remet alors à l’appréciation du psychologue.


Mais alors, si ça n’est pas qu’une question de Quotient, c’est quoi un haut potentiel ?

C’est une question de différences de fonctionnement. Et ces différences, c’est sûrement tout autour de nous, de vous, qu’on les observe le mieux : dans le cadre scolaire. Vous voyez, cette image de surdoué à lunettes, premier de sa classe ? Eh bien il est temps de la ranger en partie au placard. En partie seulement, car oui, évidemment… un surdoué peut avoir des lunettes. Soyons un peu sérieux. Il faut savoir que le système scolaire est très peu adapté à ceux qu’on appelle les « neurodivergents », ou « neuroatypiques », dont font partie les HP. Et s’il arrive qu’ils (et elles ! coucou les filles HP, qui ne sont pas qu’un mythe, bien que sous-détectées !) s’en sortent bien, voire très bien, grâce entre autres à une mémoire bien au-dessus de la moyenne, ça n’est pas la majorité qui finira première de classe. D’ailleurs, ce que peu savent, c’est que certaines autres particularités vues souvent de manière péjorative (comme la plupart des troubles dys), sont parfois conjoints au HPI. Ce qui ridiculise d’autant plus la conception selon laquelle, être dys, c’est être « débile », et HP, brillant, puisque chez certains, ces deux particularités cohabitent. La différence (et difficulté) principale des « surdoués », c’est le mode de pensée. La pensée dite normative, ou linéaire (donc celle de la majorité) est une ligne, d’où son nom. Une idée en entraine une autre, qui en entraine une nouvelle, et ainsi de suite. Pour les HP, c’est une autre histoire. Vous devez tous voir ce que c’est qu’une carte mentale ? Eh bien, la « pensée en arborescence », c’est ça, un grand arbre de pensées avec des centaines de ramification, une idée en amenant dix autres, le moindre son, la moindre image, odeur, sensation pouvant être reliée à un souvenir, à l’infini, tous les jours. Et ça peut être très avantageux dans certaines tâches, ce fourmillement d’idées. C’est ce qui fait la créativité des surdoués, ce qui fait qu’ils ont souvent une à… beaucoup d’activités créatives. Mais lorsqu’il s’agit de résoudre un problème de maths, de faire un plan de dissertation… c’est tout de suite beaucoup moins pratique. Et comme ils ont aussi tendance à surinterpréter, ce sont la plupart du temps des élèves qui se retrouvent à être souvent mis en échec par des développements trop longs, voire des hors sujets, même en ayant parfaitement compris le sujet de l’exercice.


Ils sont aussi très intuitifs, là où les neurotypiques sont plus analytiques. Et avec un cerveau bouillonnant d’idées, cette approche très naturelle du sujet peut mener des élèves très bons en maths, capables de trouver la réponse en presque deux fois moins de temps que le reste de la classe (d'où, peut-être, le cliché de "l'élève calculette" qui leur colle à la peau), à se retrouver en échec aux évaluations, car incapables d’expliquer un raisonnement, qui leur a semblé naturel, et par lequel ils n’ont peut-être même pas eu l’impression de passer.


Un autre grand point commun des HP à l’école, c’est l’ennui.

Qu’ils soient premiers de classe ou en difficulté c’est un fait : les « surdoués » s’ennuient. Pour les mieux adaptés au système, constamment en avance, il faut attendre que les autres cherchent la réponse à une question, à laquelle on a déjà la solution. Pour ceux qui ont plus de mal, les cours sont longs, pénibles, inintéressants car peu animés et trop théoriques. On ne comprend pas les questions, on se sent à la traîne, et comme les explications du professeur s’adressent la plupart du temps à un fonctionnement qui n’est pas le sien, on finit par décrocher. Pourtant, s’il y a une chose que les HP aiment, adorent même, c’est bien apprendre. Le cerveau, la mémoire, la pensée en arborescence ont besoin d’être stimulés, plus encore que les élèves neurotypiques, ces derniers ayant déjà tendance à trouver les cours trop barbants… Les « surdoués », sont loin d’être incapables d’apprendre ou de comprendre, seulement ils ont besoin d’être passionnés par le sujet. D’ailleurs, un peu comme un autiste a ses intérêts spécifiques, le HP va, de temps à autre, « bloquer » sur un sujet particulier, auquel il va consacrer toute son énergie, vouloir tout connaître, et ce jusqu’à ce qu’il ait l’impression de ne plus rien avoir à apprendre à se sujet. D’ailleurs, les enfants HP, avec ce côté éponges à informations, auront tendance à être traités de « girouettes » ou d’indécis, changeant de centre d’intérêt assez fréquemment, surtout dans l’enfance. Un autre des grands problèmes de l’enfant, de l’ado, et jusqu’à l’adulte « surdoué », c’est justement de ne pas se sentir doué du tout. Ce qui pêche, c’est la confiance en soi, qu’on soit premier ou dernier de sa classe, ado lambda, champion de tel ou tel sport ou génie artistique, globalement… on se sent rarement « doué », encore moins « surdoué ». Alors, au placard le stéréotype de l’enfant borné et hautain, voici venir le règne du syndrome de l’imposteur. S’il peut parfois montrer ce qu’on qualifierait d’insolence, le plus souvent à cause d’une consigne mal comprise, en faisant une rectification dans le cours de l’enseignant ou en se plaignant d’une injustice (l’ado HP a souvent une profonde répulsion à l’injustice, et un fort besoin d’exactitude, il peut avoir la réputation d’être très tatillon sur des choses qui semblent moins importantes à la plupart, comme l’orthographe, etc…), il est loin, très loin, d’être sûr de lui. Et pourtant, si on y regarde bien… avec son cerveau qui fuse, sa mémoire, son sens artistique, l’enfant, l’ado HP bouillonne souvent d’idées et de projets. Pourtant, la confiance en soi ne suit pas, on se dit que c’est trop dur, trop osé, on abandonne. Les HP ont en somme des idées et des envies plein la tête, parfois très abouties, dont une bien faible partie se réalise, sans doute aussi parce que les « surdoués » sont de grands perfectionnistes, des idéalistes…


 

Guide de survie en milieu scolaire


Mais alors, comment les aider à mieux s’intégrer, comment leur rendre moins compliquée l’adaptation aux cours qui, on le sait, semblent bien assez pénibles à ceux qui ne possèdent pas ces particularités ?

Alors avis aux élèves, avis aux professeurs de Guez de Balzac qui liront cet article ! Les HP ne sont pas « débiles », les HP ne sont pas non plus infaillibles. Très sensibles, très à l’écoute et conscients des autres, ils ont tendance à s’oublier. Dans un cercle d’amis, vous pourrez faire en sorte de l’inclure aux conversations, de faire tourner les rôles entre celui qui parle et celui qui écoute. Parlez-lui de son intérêt du moment, ce sera toujours un bon moyen d’engager la conversation et de lui permettre de se sentir légitime à être écouté, sur un sujet sur lequel il a des choses à dire. En général, apprendre des choses sur un sujet qui vous passionne sera pour une personne HP tout aussi intéressant que de s’épancher sur un sujet qui lui est cher.


Professeurs, ne laissez pas les élèves HP être simplement la « roue de secours" de la classe.

Beaucoup attendent de voir que personne n’a la réponse pour lever la main. Allez les chercher. Il n’est pas question de mettre de côté le reste de la classe, mais de leur montrer qu’ils sont autant capables que les autres, et qu’ils n’ont pas à toujours les laisser passer en priorité. Camarades comme professeurs, laissez-les faire deux choses à la fois. Lui claquer des doigts devant les yeux parce qu’il regarde ailleurs quand vous parlez ne servira à rien. Il peut être attentif à ce que vous lui dites, et pour autant penser à autre chose, écouter une autre conversation… il ne vous snobe pas, il occupe au contraire son cerveau pour être plus attentif à ce que vous lui dites. Le propre du fonctionnement en arborescence est de fonctionner à plusieurs niveaux, d’être multi-tâche. Un élève HP qui gribouille sur un coin de cahier ou ne vous regarde pas n’est pas forcément un élève déconcentré. Le laisser avoir un bout de papier sous la main en plus du cours peut être un bon moyen pour ce genre de gribouillis, ou pour noter des idées avant qu’elles ne s’envolent. Essayez de laisser un peu de place à son imagination. Professeurs, proposez-lui plusieurs formulations d’un énoncé, ils peuvent avoir du mal avec certaines spécificités, certaines nuances. Ne le laissez pas s’ennuyer : on l’a dit, un élève HP a encore plus besoin qu’un autre d’être stimulé, donnez-lui du travail supplémentaire, notez au tableau des notions complémentaires, proposez des exercices d’approfondissement. La pire chose à faire avec ce type de profil serait de le limiter, de lui demander « d’attendre ses camarades » ou de se restreindre s’il peut faire plus (il n’est pas question bien sûr du cas d’un exercice de synthèse par exemple, dans lequel le but même est de faire simple et court).

Camarades comme professeurs, veillez à la surcharge, au burn out

Au niveau sensoriel, le HP est sur-sensible, il éponge tout, les sons, les lumières : parfois c’est trop. En cours, leur besoin de stimuli et leur perfectionnisme les poussent parfois à se surcharger, à pousser à l’extrême leur travail. Rappelez-leur qu’un bon travail n’est pas nécessairement un travail « parfait ». Un élève surdoué, encore plus qu’un autre, a une forte tendance à la frustration s’il estime que son travail n’est pas assez bon, qu’on lui explique quelque chose d’une façon erronée... Entre besoin d’exactitude, syndrome de l’imposteur et perfectionnisme, un simple regard extérieur peut parfois aider à sortir de la boucle et à prendre du recul.



14 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Kommentare


bottom of page