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Le Photojournalisme ne reproduit pas le visible : il rend visible !

"La photographie ne peut faire l'Histoire. Elle peut l'influencer, mais elle ne peut la faire. Tant que nous serons entre les mains d'hommes politiques qui sont à l'origine des guerres, tant qu'il y aura des organisations et des fabricants d'armes qui ont besoin des guerres, elles existeront. Et nous, photoreporters, devrons continuer à faire ce que nous avons toujours fait : nous rendre sur le terrain et informer le monde." (Horst Faas, photojournaliste allemand, qui a couvert la guerre du Viêt Nam de 1962 à 1974)


Une manière d’informer et de décrire le monde par la photographie

La photographie de presse est une forme d’information qui privilégie le témoignage direct et place les photojournalistes en tant que témoins visuels de grands événements.

Mais ne nous y trompons pas ; le photographe et son travail journalistique ne se distinguent pas, au contraire, ils sont intrinsèquement liés.

Pour le photojournaliste, il s'agit d’adopter des angles différents pour comprendre une situation et parvenir à la restituer en image. Il cherche avant tout à transmettre une information et parvenir à être au plus proche de la vérité. En effet, une photographie raconte, c’est-à-dire permet le plus souvent d’aider à la compréhension des évènements, ce qui est parfois plus évident et facile à montrer visuellement.

Évidemment, au-delà de l'information brute transmise, la photographie s’efforce de donner un sens aux événements.

Le photojournaliste fait de son appareil une arme éminemment influente et puissante.

De fait, la diffusion de ces images peut provoquer des prises de conscience et construire la mémoire selon une certaine vision de l’Histoire, et peut même participer à la construction d’une mémoire collective.


Pour comprendre l’influence de cette manière d’informer, nous pouvons nous intéresser à son histoire et plus particulièrement à certains événements de l’histoire qui ont contribué à donner un pouvoir remarquable aux images.

Le travail des photojournalistes est donc de documenter, renseigner, et vérifier toutes les informations, tout en travaillant également leur regard.

Ainsi, même si l’information est primordiale, seule l’émotion permettra à la photographie de rester dans les mémoires.

Le photojournalisme modifie la façon dont on se rapporte au réel et nous offre un autre point de vue sur le monde. Il rend visible dans le sens où il nous fait regarder le monde d’une manière différente.

C’est comme si le photojournaliste nous apprenait à regarder à travers ses photographies.

l permet d’éveiller notre conscience sur les évènements. C’est pour cela que la célèbre citation de Paul Klee : « l’art ne reproduit pas le visible, il rend visible » m’est apparue pertinente pour mettre en lumière le travail du photojournalisme : le photojournalisme ne reproduit pas le visible : il rend visible !


© 2022 Laurence Geai, Fragments (from 2013 to 2019 Syria)


Zoom sur l’Histoire du photojournalisme

La presse s’empare de la photographie comme support d’information à partir de la fin du XIXe siècle, et s'est, depuis, accompagnée d’évolutions techniques.

Même si les premières utilisations de cette forme journalistique peuvent remonter à la guerre de Crimée (1853-1856) ou encore à la guerre de Sécession (1861-1865), ce n’est véritablement qu’avec l’arrivée du Kodak en 1895 qu’elles se révèlent.

En effet, la Première Guerre Mondiale, bien que marquée par une censure omniprésente, a constitué le premier terrain pour le photoreportage, caractérisé par les photographies peu révélées au grand public de Joëlle Beurier.

Si le public avait eu les horreurs du conflit et la misère des tranchées sous les yeux, la guerre aurait-elle autant duré ? Impossible de le savoir, mais le fait de le cacher n'a certainement pas fait avancer les choses pour mettre fin au conflit.


L’utilisation du photojournalisme émerge véritablement dans les années 1930 en France, dans des magazines tels que Vu, Voilà, ou encore Match (ancêtre de Paris Match), qui servaient de modèle aux médias du monde entier.

L’âge d’or du photojournalisme, qui s’étend de la guerre d’Espagne en 1936 jusqu’à la guerre du Vietnam, illustre une rupture. En effet, « c’est le reportage de guerre qui donne au genre ses titres de noblesses ».

Les photographies de guerres font alors vivre par procuration au grand public les évènements dramatiques de l’histoire, à l’image de Robert Capa et de sa célèbre photographie « Mort d’un soldat républicain ».

Puis, après les terribles reportages photos sur la libération des camps de concentration de Lee Miller, la guerre du Vietnam symbolise une période d’apothéose pour le travail des photojournalistes de guerre, bien que près de 135 photographes y laisseront leur vie.


Des enfants sud-vietnamiens observent un parachutiste américain, cachés à l'abri des snipers vietcongs

dans un canal de la zone de Bao Trai, le 1er janvier 1966. Photographie de Horst Faas

La couverture médiatique de la guerre du Vietnam a servi à rendre les populations sans doute plus sensibles aux conflits et aux événements.

En effet, certaines photographies commencent à réellement marquer les esprits et l’opinion publique, et, par conséquent, ont largement contribué à mettre fin au conflit, à l'image de celles de Marc Ribaud, Catherine Leroy ou bien sûr Nick Ut et sa célèbre photo Napalm Girl.


Les attentats du 11 septembre marquent également une nouvelle étape durant laquelle les gouvernements et les états-majors ont pris conscience de l’impact des images pour influencer l’opinion publique et décident donc d’encadrer davantage le travail des photos reporters.

Rapidement, on interdit la publication de photos de guerre, on limite l’accès des reporters sur le terrain car, parmi les images choquantes, la réalité est parfois insupportable.

"Si le travail du photojournaliste ne servait à rien, alors pourquoi nous empêcher d’aller sur le terrain !" (Patrick Chauvel)


Avec l’arrivée des réseaux sociaux et l’émergence d’une société de consommation, où l’image est devenue le moyen de communication le plus utilisé, ce sont davantage les images people qui ont pris le dessus.

En effet, avec l’apparition de nouvelles techniques numériques se pose alors la question de la frontière entre art et information.

La diffusion et les droits attachés à l’œuvre photographique, ainsi que la précarisation du métier, contribuent également à interroger cette profession, par ailleurs mise à mal par la question du droit à l’image.

Ainsi, certains diront que « le photojournalisme ne va pas disparaître, mais risque de devenir un art d’élite à destination d’un public de connaisseurs».


Une ambivalence entre l’information et l’art

La dualité sur laquelle repose le travail du photojournaliste est son oscillation entre l’information et l’art. En effet, au sein de cette profession résident deux paradigmes.

Certains cherchent à se démarquer à travers un style reconnaissable et jouent avec la lumière et les retouches pour créer une histoire visuelle à l’aide de belles photos.

D'autres au contraire ont un style plutôt brut et déclenchent leurs objectifs à « l’intuition ».

Le plus important pour eux, c'est que ce soit l'actualité qui fasse l'image, afin de s'approcher au plus près de la réalité de la situation.

Ces photojournalistes cherchent à se positionner en tant que témoins de manière à raconter une situation et à transmettre une émotion et interpeller.

Néanmoins, avec un certain narcissisme qui gagne les sociétés actuelles, la balance penche plus vers la première position, que les réseaux sociaux ont amplifiée.

Le problème réside tout de même dans le fait que la grande majorité des photographes n’ont aucun salaire fixe et dépendent du nombre de publications et de leurs gains. Certains vont donc chercher à véhiculer une image spectaculaire mais pas forcément juste.


Focus sur le travail d’une photojournaliste inspirante

Si je devais mettre en lumière le travail des photojournalistes qui me paraissent inspirants, une multitude de noms me viendrait à l’esprit : Catherine Leroy, Patrick Chauvel, Camille Lepage, Robert Capa, Horst Faas, Lee Miller… Néanmoins, une photojournaliste a particulièrement attiré mon attention ces derniers temps : Laurence Geai.

La photojournaliste de l'agence MYOP, a couvert plusieurs conflits ainsi que leurs conséquences, à travers le monde, comme la guerre en Syrie, les destructions massives à Mossoul par Daesh, l'opération Barkhane au Sahel, les crises migratoires, l'exil des yezidis, la pandémie, les attentats à Paris... Son travail est régulièrement publié dans de prestigieux journaux, parfois en collaboration avec des ONG.


"J’ai une sensibilité particulière à l’image fixe, parce qu’elle traverse les époques, reste en mémoire et dans la mémoire collective" (Laurence Geai)


  • " Jusqu'à la mort "

Ce reportage photographique a été réalisé par Laurence Geai à Mossoul, durant les deux derniers mois de la bataille menée par l’armée irakienne soutenue par la coalition internationale, contre l’État Islamique afin de reprendre la ville de Mossoul.

Une partie de l’Est de la ville a été relativement épargnée par les destructions massives. En revanche, la vieille ville a presque totalement été détruite.

Durant cette guerre, de nombreux civils ont été déplacés, victimes de frappes, de tirs d’artillerie, ou tués par Daesh dans leur fuite.

Certaines photographies témoignent de la condition des civils, « faméliques et épuisés ».


© 2022 Laurence Geai Photojournalist, via Visura

  • "Errance"

Ce reportage photographique réalisé en 2015 rend compte de l'errance des demandeurs d'asile installés dans des camps de fortune à Paris, sous un métro.

En promettant début juin des solutions d’hébergement, le gouvernement a décidé de démanteler un des camps. Seulement cette promesse n’a pas été tenue et les épisodes se multiplient. Certains migrants parviennent à obtenir un logement, tandis que d'autres, dans l'attente de leurs papiers, sont poussés peu à peu en dehors de Paris.


© 2022 Laurence Geai Photojournalist, via Visura

  • " Eaux troubles "

Ce reportage photos met en lumière une guerre qui se déroule sans armes mais autour de l’eau, et qui chaque année fait de nombreuses victimes. Israël est une région aride où des conflits territoriaux avec les Palestiniens durent depuis près de 70 ans. Alors que l'État hébreu contrôle une grande majorité des ressources en eau de Gaza et de Cisjordanie, nombreux sont ceux à souffrir : les agriculteurs, certaines communautés bédouines, et bien sûr les habitants, car à Gaza 96% de l’eau est impropre à la consommation.

Le déséquilibre et les souffrances des villageois sont visibles, avec autant d’inégalités qui provoquent de grandes tensions dans le pays alors qu’Israël possède des technologies de pointe pour recycler l'eau, et notamment la plus grosse usine de dessalement au monde.


© 2022 Laurence Geai Photojournalist, via Visura

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