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Les expressions françaises : origines d’un style

Les expressions de la langue française sont des figures de style, des manières de s’exprimer à l’oral ou à l’écrit, reconnaissables par leur sens souvent saugrenu au premier abord. Leur nombre et leur originalité font de ces expressions un véritable trésor pour la langue française. Mais quand, et comment, apparaissent-elles ? C’est ce que nous allons découvrir dans cet article, où nous allons décortiquer trois de ces expressions.


« Donnez-vous votre langue au chat? »

Cette formule, qui marque la fin des devinettes, se noie dans le brouillard des temps et des jeux enfantins. L’expression « donner sa langue au chat » trouve ses origines dans la littérature, et il nous est possible de dater précisément son apparition.

Cependant, le chat, comme dévoreur de langue qui rend les petits enfants muets, n’est pas,  à l’origine, employé dans l’expression populaire que nous connaissons aujourd’hui : nous devons sa naissance à son ancêtre « jeter sa langue au chien ».


Mais qui en est alors l’auteur ? Remontons au XVIIe siècle : c’est dans une œuvre épistolaire monumentale, écrite par Madame de Sévigné, que l’expression naquit. Dans une lettre rédigée en 1676 à sa fille, son mari, Monsieur de Sévigné, mentionne l’expression « jeter sa langue au chien » : « Devinez ce que c’est, ma fille, que la chose du monde qui vient le plus vite et qui s’en va le plus lentement, qui vous fait approcher le plus près de la convalescence et qui vous en retire le plus loin, qui vous fait toucher l’état du monde le plus agréable et qui vous empêche le plus d’en jouir, qui vous donne les plus belles espérances du monde et qui en éloigne le plus l’effet : ne sauriez-vous le deviner ? Jetez-vous votre langue aux chiens ? C’est un rhumatisme. »

L’expression servait à représenter métaphoriquement à son interlocuteur les restes que l’on jetait aux canidés, et, par extension ce qui n’a pas de valeur. Leur jeter sa langue, c’est leur abandonner l’organe de la parole, voire constituer un acte infâmant. Être « bon à jeter au chien » serait, donc, le comble de l’indignité. 

Mais alors, pourquoi passer du chien au chat ? Pour certains, ce changement serait né d’une volonté d’adoucir l’expression. En réalité, c’est au XIXe siècle que l’on voit apparaître la forme  « donner sa langue au chat », sous la plume d’une nouvelle autrice : Aurore Dupin, mieux connue sous le nom de George Sand. L’écrivaine utilisait de son côté l’expression « mettre quelque chose dans l’oreille d’un chat » pour traduire une volonté de confier quelque chose de secret, une confidence destinée à être oubliée aussitôt prononcée. Le chat serait donc devenu l’animal garant des secrets et, par extension, celui à qui l’on s’en remet lorsque l’on échoue à trouver la solution. Nous vous l’accordons, c’est légèrement tiré par les poils ! 


 

« Merde....! »

La veille d’un grand évènement, d’un oral ou d’un examen, on a tous un proche qui nous a déjà souhaité « merde ». Contrairement à ce que certains pourraient croire, c’est loin d’être une insulte. C’est plutôt un encouragement, un moyen de souhaiter bonne chance à quelqu’un, et, par extension, sa réussite.

Notre « merde » nous vient du spectacle vivant, par l’habitude de certains comédiens et musiciens de se la souhaiter, pour se donner de la force et vaincre un trac omniprésent avant chaque représentation. Une superstition cocasse dont l'origine remonterait au XIXe siècle.

À cette époque, les spectateurs se déplaçaient en calèche ou en fiacre pour se rendre à l'opéra ou au théâtre. Les moteurs n’existant pas, tout ce beau monde était tiré par des chevaux. Devant l'entrée, les cochers déposaient leurs passagers et les attendaient pour les ramener à leur domicile. Avec eux, les chevaux patientaient aussi… et faisaient leurs besoins.


Une expression tirée par les chevaux

Plus grand était le nombre de personnes présentes à un spectacle, plus grand celui des chevaux ! On mesurait donc le succès d’une pièce de théâtre ou d’un concert à son nombre d’entrées, mais aussi à la quantité d’excréments sur le parvis.

C’est de là que naît l’expression se souhaiter « merde ». Les comédiens se souhaitaient donc de recevoir la plus épaisse des couches de crottin possible, pour que leur représentation soit réussie. 

Les aristocrates et bourgeois venus assister au spectacle marchaient même dans ce tas et emportaient les délicieux cadeaux dans la salle de spectacle. Bah, merde alors !

Autrefois restreinte au monde du spectacle, cette expression a désormais pris sa place dans la vie courante.



 

« Amuser la Galerie »

On dit souvent d’un ou d’une camarade qu’il « amuse la galerie », que ce soit en classe ou à chaque instant. Cette expression désigne le fait de faire rire une assistance, le public.

Elle vient d'un sport très populaire en France au XIVe siècle, l’ancêtre du tennis : le jeu de paume.

Mais à quelle galerie fait-on référence dans cette expression ? Il semble qu'elle remonte aux pirouettes et excentricités que faisaient les compétiteurs au jeu de paume pour amuser les spectateurs postés dans les galeries couvertes. Par métonymie, le terme de la «galerie» a ensuite désigné les spectateurs eux-mêmes.


Le jeu consistait à envoyer une balle avec la paume de la main, puis avec une batte de bois, enfin avec une raquette, sur le mur d'une grande salle le long de laquelle se trouvaient ces galeries. On disait alors qu'ils “amusaient la galerie”.

Une autre expression découle également de ce sport : “épater la galerie”, qui se disait alors lorsqu'un joueur réussissait un beau coup. De nos jours, et par extension, la galerie désigne l'opinion publique.

Une expression similaire fait son apparition dans le théâtre, « amuser le parterre ». En effet, dans les anciennes salles de théâtre, le parterre désignait le devant de la scène, une zone pas chère où les spectateurs restaient debout par absence de sièges, dû à l’éclairage à la bougie et à la cire qui dégoulinait du plafond. Ceci, bien que dérangeant, amusait quand même.

Avec l’apparition des lampes au gaz, le parterre en question fut remplacé par des fauteuils, faisant grimper le prix des places. La disparition du parterre entraîna l’expression « amuser le parterre » dans sa chute.

Contraints de s’installer à un autre endroit, les spectateurs à faibles moyens prirent place dans de fameuses « galeries », situées plus haut et loin de la scène. C’est de cette façon que l’expression « amuser la galerie » remplaça « amuser le parterre ».


Dans La puce à l’oreille, de Claude Duneton (1978), l’auteur ajoute :

« Pour la curiosité, j’ajouterai qu’il existait autrefois une autre sorte de « gallerie ». On appelait ainsi – du vieux verbe « galler », s’amuser (qui a donné « galant ») – une partie de plaisir, ou une joyeuse compagnie. »

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