Entre le teen movie relatant les aventures de son personnage (La Folle journée de Ferris Bueller, 1986), une histoire d’amour ( Seize Bougies pour Sam, 1984), une comédie (L’Oncle Buck, 1989), une histoire d’amitié (Before I Fall, 2017) ou une forme de récit d’apprentissage (The Edge of Seventeen, 2016), on voit bien que les films sur les adolescents n’ont pas toujours été semblables. Leurs histoires changent et les personnages qui les incarnent changent avec. Comment la représentation adolescente dans le cinéma a-t-elle évoluée depuis son début ?
Peut-on dater l’entrée des adolescents comme personnages principaux dans le cinéma ?
Les quelques cinéphiles interrogés pour cet article sont unanimes sur le rôle central joué en 1955 par Rebel Without a cause (La Fureur de vivre) de Nicholas Ray avec James Dean : pour la première fois au cinéma,le personnage principal est un adolescent. Certes, “il y en a toujours eu, dès le cinéma muet. Du début du parlant à la fin des années 1930, il y a eu The Dead end kids, The East side kids, The Little tough guys, The Little rascals, The Bowery boys : des bandes de gamins, souvent des enfants mais aussi des pré-ados, qui faisaient des bêtises, c’étaient des comédies. Le genre a même été rendu très célèbre aux USA avec la série Andy Hardy avec Mickey Rooney, de 1937 à 1958. C'était très américain, non exportable, mais Mickey Rooney a été n° 1 au box-office dans ces années-là. Après, Rebel without a cause a cristallisé le genre. » Mais pourquoi le teen movie commence-t-il à se distinguer en 1955 ? Selon Film Reference, “les années 1950 ont été la première décennie des cinémas en plein air, du son stéréo, des formats à écran large, des films épiques tournés en couleurs brillantes et de toute une gamme de gadgets cinématographiques tels que la technologie des films en 3D”.
Les représentations des jeunes à l’écran : du stéréotype à la réalité ?
Si on fait des jeunes les personnages principaux des teen movies, quelle image en renvoie-t-on ? Constance, Jenni, Selma, jeunes spectatrices, dénoncent les clichés utilisés au cinéma pour désigner les jeunes, soit fêtards et drogués, soit hypersexualisés, extravagants, insolents, vivant dans une liberté totale et sans limite. Pour l’une des jeunes filles interrogées, il y a une évolution positive néanmoins, avec une représentation plus véridique de l’adolescence et de la jeunesse actuelles, notamment du côté LGBTQ+. « [Elle en est] assez satisfaite car certains films (et séries) font vraiment de très bonnes représentations de l’adolescent actuel, et [...] ça peut-être d’une grande aide pour les jeunes un peu perdus». Une autre jeune fille, quoique déçue par la sensualité obligée de beaucoup de jeunes dans les films, pense elle aussi que ces films donnent aux adolescents des « moyens de s’exprimer et d’affirmer (leur) personnalité ». Loan insiste sur le fait qu’ « on retrouve tous types d'adolescents. » aujourd’hui dans le cinéma.
La fracture jeunes / adultes : un passage obligé ?
Comme dans la vie réelle, les jeunes personnages du cinéma sont confrontés au monde des adultes. Quelle image en donnent-ils ? Pour Isabelle, si on « pense à La Fureur de vivre, ou A l'Est d'Eden, ou à L'Homme par qui le scandale arrive, les adultes y sont caricaturés. Mais c'est sans doute logique : ces films épousant le point de vue d'adolescents, forcément les adultes ne sont pas saisis dans toute leur subtilité, mais juste dans les aspects où ils s'opposent, justement, à leurs enfants. Ils sont vus comme des adultes qui ne comprennent rien aux problèmes et aux façons de penser de leurs adolescents. » Les adultes peuvent servir de faire-valoir aux figures adolescentes centrales, ou bien apparaître selon des stéréotypes ou sous un aspect peu flatteur : licencieux ou absents, ignorants ou dépassés (la mère dans LOL, les parents dans La Vie est un long fleuve tranquille, le maître dans Karaté Kid)
Une évolution de la représentation des jeunes au cinéma, mais aussi du rapport des jeunes au cinéma
Si les personnes interviewées pour La Guezette affirment que le teen movie a beaucoup changé depuis son début, il s’agit tour à tour d’une évolution positive ( « dans les années 1950 les films ados étaient fait par de vieux hommes blancs. Donc ils avaient un regard surplombant, pas empathique parce que ça faisait longtemps qu'ils avaient, eux-mêmes, été adolescents. Maintenant, les films ados sont faits souvent par des gens plus jeunes, moins éloignés de leur jeunesse, et par des femmes aussi, des jeunes femmes »), et d’une évolution négative : « ça s'est simplifié, on prend moins de risques parce que les enjeux financiers sont trop importants. Par exemple, dans Retour vers le futur, une femme tombe amoureuse de son fils, à cause d'un voyage dans le temps. Aucun studio aujourd'hui n'oserait financer une histoire pareille, ça ferait un trop grand scandale ! ». Mais une autre question se pose : n’est-ce pas le rapport même aux films qui a changé, et pas forcément en mieux ? Pour Benoît, jadis adolescent, « nous allions au cinéma, et rien que ça c’était une sortie, un spectacle. On pouvait même voir un film moyen, on le regardait en entier, parce que plongés dans le noir, l’image sur l’écran, c’était déjà un spectacle. Notre concentration n’était pas altérée par des évènements extérieurs (je fais pause, je vais aux toilettes, je vais chercher quelque chose à grignoter, le téléphone sonne, etc.). Aujourd’hui, et encore plus depuis les confinements, nous sommes tous devant notre télé avec nos DVD, notre abonnement Netflix, nos vidéos pourries sur Youtube, etc. À cause du format des séries, tout doit aller vite, on zappe quand ça ne nous plait pas, et nous n’arrivons plus à regarder un film correctement. Au cinéma, on ne pouvait pas zapper, on se tapait le film en entier. Jean-Luc Godard disait (bien que je déteste Godard) « Quand on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télévision, on la baisse. »
Certainement, il y a eu un changement important dans le teen movie, mais pourquoi ceci a-t-il eu lieu ?
Pour les jeunes, c’était dû à « un changement de génération et à l’arrivée de nouvelles technologies. » (Constance), « la technologie a beaucoup évolué et les jeunes sont beaucoup plus malins qu’avant, je veux dire qu’ils sont plus curieux et veulent tout le temps découvrir des nouveautés, vivre une aventure. » (Jenni), « ce qui a fait évoluer les films pour les jeunes ce sont les nouvelles générations qui ont apporté une ouverture d'esprit beaucoup plus développée que dans les années 70's. » (Loan) Dans tous les cas, on peut se demander si la représentation des adolescents au cinéma, quoiqu’ayant évolué au fil du temps, ne se maintient pas dans une forme de censure de la réalité, en vue d’en gommer les aspects qui pourraient les gêner...
Essai de typologie des teen movies
Jusqu’aux années années 70 à 80, les intrigues des teen movies reposaient généralement sur des ressorts comiques, ou sur une aventure (Revenge of the nerds – Les Tronches -, 1984 ; A nous les garçons, 1985 ; la trilogie Star Wars à partir de 1977) ou encore sur une thématique romantique (Seize Bougies pour Sam, 1984 ; La Boum, 1980).
La tendance à représenter au cinéma l’adolescent comme un personnage placé dans des circonstances extrêmes a pu aller jusqu’aux Slashers, des films d’horreur représentant souvent des jeunes gens ou de belles jeunes femmes littéralement massacrés par des tueurs en série ( Halloween, 1977), tandis qu’aujourd’hui, ce personnage extrême devient plutôt un background (ou un personnage secondaire), et le personnage principal est devenu tout simplement un ado normal (Si tu savais… 2020)
De 1995 à 2005 voire 2010, on retrouve fréquemment, surtout dans l’habillage, une hypersexualisation des jeunes pour pouvoir les comparer aux adultes. Mais se dessine aussi un début de traitement de thématiques sociales, comme la discrimination ou les difficultés rencontrées par les ados, avec parfois l’intervention, qu’elle soit négative ou inversement positive, des adultes (Bring it on – American Girls -, 2000 ; Mean Girls - Lolita Malgré moi, 2004 ; Virgin Suicides, 1999…).
Aujourd’hui, que ce soit lié à la mondialisation des films Marvel ou à la zone d’influence créée par Netflix, on assiste à une variété des typologies d’adolescents et des thématiques dans le teen movie ( Divergente, 2014 ; Before I fall, 2017)
Comments