Une slow generation ? En tant qu’adolescents, tout le monde s’accorde à dire qu’on a vécu dans une société à 1000 à l’heure, qu’on a grandi avec ces modes de consommations toujours plus performants, parfois peut-être à l’excès. Je n’essaie pas de te rappeler les paroles de ta tante aux repas de famille et les « Oh, ces jeunes ! Toujours pressés de tout ! Moi dans mon temps… ». Le temps de Tatie Jeanne est révolu, visiblement. Et c’est même plutôt vrai, qu’on a grandi avec les marques de la fast fashion, les vêtements qu’on achète et qu’on jette, au gré des modes. Numérisation, automatisation, tout s’accélère. On a délaissé les cassettes au grenier… Et puis la Covid est passée par là. Et notre champ des possibles s’arrêtait alors à peu près… à ce grenier, justement. Alors soit. On a ressorti les vinyles, les pellicules argentiques et le vieux jeans pat’ d’éph’ de tatie. Le vintage, le retour en arrière… alors on a tout ralenti. Surtout notre façon de consommer.
D’abord il y a les vêtements, les fringues, enfin… les fripes.
Ces vêtements qu’on chine, qu’on récupère, qu’on recycle, ont vu leur part de marcher augmenter de 140 % en 2019. 39 % des français disaient alors avoir déjà acheté au moins un vêtement de seconde main, et 28 %, vouloir augmenter ce mode de consommation. Certains spécialistes prévoient même qu’il dépassera la fast fashion à l’horizon 2028. Et c’est sans compter tous ceux qui se sont empressés de trousser les tiroirs de mamie ou les affaires d’ado des parents. Les seventies et les années 90 sont revenues en force dans nos placards d’adolescents. Pourtant, on n’a rien connu de tout ça !
Évidemment, pour certains, c’est l’effet de mode, avant tout, qui va jouer. Pour d’autres, le vintage, aujourd’hui, prend un vrai sens. Parce que ces années folles, sont l’emblème de luttes toujours très actuelles, de luttes qui ont libéré les jeunes. Alors à l’heure où on se retrouvait enfermés, calfeutrés chez nous, une micro-lutte intérieure se préparait dans nos dressings. Au sortir du confinement, une fois remis au placard le pyjama et les chaussons, les pantalons baggy et les taille-haute ont remplacé les jeans slims. La mode devenait, plus que jamais, un moyen d’expression.
Les seventies, par exemple, avec leurs motifs psychédéliques et extravagants, voient s’élever peu à peu les combats féministes, avec la libération du corps féminin (qui passe aussi par le style), mêlée au début de la décennie au droit des noirs, par le Black feminism. A bas les contraintes et les styles trop conventionnels. Selon portaildelamode.com, « Le mouvement hippie revendique un corps libéré de toutes contraintes. Tout ce qui le laisse s’exprimer est alors tendance. ». Il est alors plutôt naturel que, dans un contexte de crise mondiale où les personnalités politiques se renvoient la balle entre virus mortel et libertés fondamentales, la jeunesse s’empare de ce mode de vie où toute extravagance est permise : où l’on s’exprime avec du tissu, simplement, pacifiquement. C’est aussi l’époque du MLF (Mouvement de Libération de la Femme). Depuis les années 60, le pantalon a rejoint le dressing féminin, on brise les frontières des codes genrés. Les filles osent enfin le topless et se fichent royalement du regard des hommes. Encore actuelle en 2021, la libération du corps de la femme, et plus généralement des corps sexisés (avec l’émergence notamment de personnalités qui représentent enfin l’existence de genres qui s’affranchissent du masculin/féminin) prend pour modèle ces années de lutte pacifique.
Vingt ans plus tard, même constat : les jeunes aspirent à la rébellion discrète.
Après des années eighties très axées sur-consommation (qui peuvent rappeler ce avec quoi on a grandi), au style « m’as-tu-vu », où les idoles lancent des modes qui deviendront nationales, les 90’s incitent les jeunes à se découvrir, quitte à inventer leur propre style. De quoi choquer les générations précédentes, encore bien blotties dans ces années 80, et leur diversité de façade. Au Japon, bien loin de l’Europe, on pousse encore plus loin le vice de l’exploration de soi. Apparaissent donc ce que l’on appelle les « styles alternatifs » (Harajuku, Fairy Kei,…). Nés dans les quartiers japonais, ces styles sont encore une fois l’occasion de s’opposer à la domination parentale. On s’habille pour « provoquer », susciter la curiosité, on ose se montrer, et on ne s’en excuse pas.
r certains, cette mode est surtout l’emblème d’une jeunesse qui s’affirme et qui s’oppose : la parfaite représentation d’une révolte saine et incarnée.
Ainsi, porter du vintage, c’est porter aussi les idéaux d’une époque. En avant le jeans pat’ d’éph’ !
Pour d’autres (sous-entendu les plus vieux, à qui on fera la faveur de les mettre quand même chez les « jeunes ») bien au-delà de l’idée de révolte et d’opposition, ce qui attire c’est le côté rassurant de ces années. Oui, parce qu’eux, les jeunes-vieux, les 19-35 ans (si si, techniquement ils sont jeunes) les ont vécues, mêmes s’ils étaient souvent jeunes enfants. D’ailleurs, plus ils y étaient jeunes, plus la magie opère. Parce que c’est justement cette nostalgie qui attire.
Avec ce qu’on appelle souvent les « trente glorieuse », les trois ou quatre dernières décennies semblent insouciantes. Pour ceux qui les ont vécues, en adopter à nouveau le style est une sorte de retour à l’innocence. Ces générations se remémorent, à travers la mode qu’ils ont connue, une jeunesse idéalisée, qui semblait moins préoccupée par l’avenir, ancrée dans le présent… Comme quoi ! C’est un peu le pat’ d’éph’ de Proust. Outre l’habillement, qui reste le domaine où cette idée de slow generation est la plus présente, le domaine des arts, lui aussi, se met à la mode escargot. Et oui, on en a tellement été privés, de culture, du moins de ses lieux physiques, pendant les confinements ! Et parallèlement à cette privation, l’art est resté un moyen de s’éloigner de ce que l’on vivait, de sortir de chez soi en pensée (et hop, pour rêver, pas besoin d’attestation !). Alors, forcément, à force de parler du « monde d’après », eh bien, l’art et la culture, eux aussi, on les veut plus vrais, plus authentiques, plus simples : à l’ancienne.C’est justement cette idée de simplicité qui pousse les français, et surtout les jeunes, à délaisser le tout numérique. Alors parce que nous, les jeunes, on aime se compliquer la vie (comme quoi, on n’est pas tous des feignants), et surtout parce qu’on a un besoin de retour aux sources et d’authenticité, pour contrer la recherche constante de (sur)performance, la crise semble avoir été un déclencheur du grand retour au manuel et à la simplicité. Les vinyles on fait un retour en force en 2020, avec plus 10% de ventes par rapport à 2019. Pour beaucoup de disquaires (oui, oui, ça existe encore), cette augmentation traduit un besoin de proximité avec les artistes… et surtout de concret ! On accepte aujourd’hui de mettre de côté le nec plus ultra de la qualité sonore, au profit du grain du vinyle. Même constat avec la photo argentique.
Chaque année se tient à Bièvres le festival de la photographie.
Beaucoup d’exposants disent voir de plus en plus de jeunes à ce type d’évènements. Et la plupart n’est pas à la recherche du dernier numérique… mais bien d’argentique. Vous savez, ces appareils à l’ancienne, qui fonctionnent avec des pellicules. Une fois de plus, on délaisse la facilité, pour aller vers un mode de vie, et donc de consommation, plus authentique. Si l’on a grandi avec le numérique, beaucoup de jeunes, et surtout d’adolescents, l’identifient à l’idée de rapidité, cette recherche d’excellence à tout prix, quitte à en oublier l’essentiel. Alors on rêve du boîtier argentique chiné en brocante, ou du lecteur vinyles ou cassettes trouvé au sous-sol des grands parents. Et quoi qu’en pense la société de consommation, on apprend à oublier la performance… et à s’attarder sur « ce qui compte vraiment ». « Avec l’argentique, on s’attache aux détails, on fait attention à la composition, au lieu de bombarder bêtement en espérant que l’appareil fera tout le reste pour nous », c’est l’argument majeur des adeptes. Et si l’on va jusqu’à développer soi-même ses clichés, alors on contribue aussi à préserver un savoir-faire qui s’oublie de plus en plus, toujours dans cette idée de conservation. Cette méthode un peu plus casse-tête, mais aussi plus « vraie », se place comme l’emblème de la société vers laquelle les jeunes veulent aller : plus sincère, plus solide et plus authentique.
Farfouiller en friperie, à la recherche de la chemise vintage, explorer le grenier des grands parents pour trouver un vieux tourne disque, ou faire toutes les brocantes de sa région dans l’espoir de dénicher un boitier argentique, l’idée est la même : les jeunes recherchent cette sensation de récompense et de mérite de passer du temps, et du bon temps, à faire ou trouver de belles choses. Et on le sait, c’est toujours plus beau quand c’est fait main ! On retrouve enfin cette façon de penser dans les métiers choisis par les jeunes. Délaissant les emplois de bureau jugés barbants et superficiels, pour se consacrer à des métiers axés sur la matière, donc sur le « concret ». Une envie peut-être ici aussi accentuée par la pandémie. En effet, après des mois passés enfermés, le travail à distance, le manque de contacts humains et la sensation d’être coupés du monde, les jeunes ont envie de reconnexion. Les métiers de l’artisanat attirent alors de plus en plus, avec plus 4% d’apprentis en 2020, et plus 8% supplémentaires en 2021. Les adolescents d’aujourd’hui, donc la société de demain, se tournent vers la qualité, le savoir-faire plutôt que la quantité et le rendement à tout prix. On ressent chez les jeunes un ras-le-bol du tout industriel et de l’automatisation. Les métiers oubliés ou insolites attirent de plus en plus. Ainsi les tapissiers, relieurs ou restaurateurs en tous genres connaissent un regain d’intérêt chez les adolescents, qui recherchent la beauté et l’originalité du métier, un contact avec la matière, avec le concret, et une redécouverte des métiers que la société a oubliés au profit de postes jugés plus « utiles » à son développement. La crise sanitaire aura, finalement, semble-t-il, servi de déclencheur à nos envies d’authenticité, de liberté et à nos revendications. Alors nouvelle tendance qui tend à s’estomper ou phénomène bien ancré dans notre génération ? La suite le dira. Mais il semble que le « monde d’après » dont on nous a tant parlé soit, pour les jeunes, tourné vers une consommation plus raisonnable et plus sensée.
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