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Lilou Bornet

Portrait d’une jeunesse «désenchantée» mais engagée : une génération singulière ?

La jeunesse est souvent définie comme la "génération climat", la "génération offensée", la "génération Z" ou même encore comme la "génération covid", mais elle est peu écoutée. Et pourtant, n’est-ce pas elle qui sera confrontée aux conséquences climatiques, économiques et sociales de demain ? N’est-t-il donc pas légitime qu’elle ait son mot à dire ? Essayons donc de mettre en avant la jeunesse, à travers ses valeurs, ses ambitions et en tant qu’actrice d’une métamorphose de la société. L’ouvrage intitulé La Fracture, écrit par Fréderic Dabi en collaboration avec Stewart Chau, sorti en septembre 2021, s’intéresse au sondage ressuscité de « La Nouvelle Vague » mené par L’Express et l’IFOP en 1957, puis reconduit tous les dix ans, et finalement tombé dans l’oubli depuis 1999. Ainsi, une nouvelle enquête menée en février 2021, a-t-elle sondé 1 500 jeunes âgés de 18 à 30 ans.


Cette enquête a permis de dresser une sorte de portrait sociétal qui rend compte d’une véritable fracture au sein de la société. Cette fracture peut être illustrée par deux grands groupes parmi les jeunes ; les 18-24 ans et les 25-30 ans, mais également concerner les jeunes et le reste de la société, ou encore les jeunes d’aujourd’hui et ceux d’avant.

Il est possible que toi, lecteur lycéen, tu ne te reconnaisses pas toujours dans cette représentation de la jeunesse… Le but de ces analyses est d’essayer de dépasser les caractérisations et clichés habituels qui lui sont attribués. Ce qui est sûr, c’est que la « jeunesse » est tout sauf un « bloc monolithique » …






Quelques statistiques tirées de La Fracture :


Engagement à propos du climat : 72% des 18-30 ans sont engagés dans la lutte contre le changement climatique

Un fait ressort nettement de cet ouvrage ; en effet, non seulement la nouvelle génération a intégré dans sa réflexion la question climatique, mais elle en est même l'excitateur ; Greta Thunberg en est l’exemple. L’écologie est le sujet majeur des mobilisations collectives, que cela se reflète à travers les marches pour le climat, ou bien d’autres engagements. Même si les jeunes n’ont pas connu de victoires communes liées à leur mobilisation, ils sont tout de même prêts et déterminés à se mobiliser, face au sentiment d’urgence de la situation.

Par ailleurs, cette génération ne se ne situe pas dans une logique de reproches et de rancune envers les générations précédentes, mais souhaite plutôt les entraîner vers de nouvelles manières de vivre, de penser et, notamment, de consommer. Les jeunes refusent également tout discours fataliste sur la situation. Néanmoins, cet engagement constitue aussi un paradoxe avec le phénomène grandissant de l’action individuelle pour agir contre le réchauffement climatique (nous présenterons cela dans la partie : « défiance envers les politiques »).


Abstention électorale : 84 % des 18-24 ans n’ont pas voté aux dernières élections régionales

Toutefois ces nouveaux modes d’engagements, sur la question du climat par exemple, contrastent avec la montée de leur abstention politique. Or, abstentionnisme ne veut pas dire dépolitisation, bien au contraire ! Les jeunes sont certes moins politisés, mais sont pour autant très mobilisés sous d’autres formes d’engagement. Le vote leur apparait vain dans le sens où les réponses aux crises ne viendront pas des politiques…


Défiance envers les politiques : 82 % des jeunes interrogés répondent par l’affirmative à la phrase suivante : « Les jeunes de ma génération ne croient pas en l’action politique »

En effet cette abstention peut être expliquée par un phénomène de défiance envers les politiques. Les dernières générations ont subi des crises terroristes, climatiques, ou même sanitaires… et ont été témoins d’une « déshérence de l’action politique » et d’une absence de résultat. Ils ne considèrent donc pas la représentativité comme


Des jeunes tentés par une certaine radicalité : 1 jeune sur 2 entre les 18-30 ans considère que la violence est parfois nécessaire pour faire avancer certaines causes.

Que ce soit au niveau climatique, social et sur bien d’autres thèmes, les jeunes ne croient plus en la politique. Ils ne pensent plus que les dirigeants puissent changer les choses et avoir un rôle puissant. Cela peut d’ailleurs être illustré par le récent « bla-bla-bla » de Greta Thunberg en évoquant l’action des politiques. Par conséquent, liés à leur sentiment que les choses n’avanceront pas, les jeunes sont tentés par une certaine radicalité dans leur action. Néanmoins, ces chiffres restent à relativiser car seulement 7 % d’entre eux estiment avoir commis un acte de violence dans une manifestation.


Les jeunes : « relais d’opinion »

« C’est dur d’avoir 20 ans en 2020 », déclaration du président lors de son allocution en octobre 2020. La question de la jeunesse paraît de plus en plus importante au moment des présidentielles. On constate une sorte d’attachement des politiques à la jeunesse, que cela s’illustre à travers les interviews de personnalités politiques sur les réseaux sociaux ou dans les promesses de programmes des candidats avec l’ambition de faire de la jeunesse une « grande cause nationale » : « 1 jeune, 1 solution ». Et pourtant le phénomène d’abstention ne faiblit pas… Comment expliquer alors cette focalisation de l’attention des politiques sur cette partie de la population ?

En fin de compte, s’adresser aux jeunes permet de s’adresser à leur cercle familial. Ils sont donc perçus comme des « relais d’opinion » ou encore comme des « agents du changement et annonciateurs du devenir de la société », capables d’influencer l’opinion des adultes que cela soit sur le climat, le travail ou d’autres thématiques…. Ainsi, en « s’adressant à la jeunesse, il s’agit d’espérer anticiper les mouvements d’opinion, tendances et comportements à venir de l’ensemble de l’électorat » selon Frédéric Dabi.


Baisse du sentiment de bonheur

Ces statistiques nous révèlent une chute du sentiment de bonheur (chute de 15 points des jeunes s'estimant être très heureux entre 1978 et 2021), ainsi qu'une hausse des jeunes se considérant comme très malheureux. Cela s’explique en partie par la multiplicité des crises et, qui plus est, urgentes, qu’ils subissent. En effet, ils ont le sentiment de vivre dans une société dans laquelle ils doivent remédier à des crises avec beaucoup plus de rapidité qu’auparavant. Par ailleurs, cette baisse peut également être liée à un certain « désenchantement ». Les jeunes n'ont plus d’idéal de société, et sont incertains quant à leur l’avenir. Ils pensent vivre dans une époque de « malchance ». Le niveau de bonheur est, en outre, corrélé aux classes sociales puisque 43 % des privilégiés se déclarent très heureux, contre 12 % pour les catégories populaires.


Les jeunes et la religion

Les jeunes sondés se déclarent croire...

  • 51% en Dieu

  • 49% en l'astrologie

  • 48% en la réincarnation

A propos de la religion, l’ouvrage témoigne du fait qu’il y a de plus en plus de jeunes qui sont croyants : pour la première fois depuis les années 80, une majorité de jeunes déclare croire en dieu. Cela témoigne d’une volonté de se raccrocher à des cadres plus spirituels comme source d’espoir, faute de se raccrocher aux cadres institutionnels… Par ailleurs, cet espoir dans la religion entraine des phénomènes de « sacralisation » qui peuvent parfois les pousser à "ne pas être Charlie", et à reposer sur une logique de refus de froisser les croyants. Ainsi, la notion fondamentale pour eux est le respect.


Le « Wokisme »

C’est en effet une jeunesse qui se sent différente. La Covid a permis une homogénéité de certaines perceptions de la part des jeunes et une conscience de groupe sur certaines problématiques. Tous ces sondages menés témoignent également d’un basculement et d’un certain clivage entre les jeunes et les moins jeunes ; à savoir un glissement de la notion de liberté à la notion d’égalité. Une partie de ces jeunes est très sensible aux inégalités et pense que la société est foncièrement injuste et discriminatoire : 6 jeunes sur 10 pensent que le patriarcat correspond à une réalité. Ils sont ainsi poussés vers une certaine vision du monde importée des États-Unis : « le wokisme ». Ce mouvement repose sur une indignation face à l’injustice ou à l’oppression exercée envers les minorités : 41 % des sondés pensent que le racisme d’État est une réalité. Ce courant a, entre autres, pu être illustré par les débaptisations des écoles, des universités ou encore par les déboulonnages de statues… Néanmoins ce nouveau mode d’engagement n’est pas majoritaire au sein des 18-30 ans.


L’enquête de « La Nouvelle Vague » concluait en 1999 : « les moins de 30 ans ne veulent pas le pouvoir. C’est le contre-pouvoir qu’ils cherchent ». Aujourd’hui, cette jeunesse sujette d’attention peut-elle peser en tant qu’actrice à part entière en vue des présidentielles 2022 ? Voici la question qui est établie à la fin de l’essai… Que ce soit à propos de leurs valeurs, de leur rapport au travail, de leur vision de la politique, de leurs pratiques en matière d’information, de leurs aspirations pour les enjeux économiques, de leurs nouvelles façons de consommer… les jeunes ont finalement pris conscience de leur poids et de leur influence sur le cours des choses pour susciter un changement. Ainsi, Fréderic Dabi et Stewart Chau concluent-ils leur essai par l’affirmation judicieuse « qu’il semble évident que cette jeunesse post Covid compte garder le privilège nécessaire et vital de s’interroger encore et de ne pas se contenter du monde tel qu’il est. Sans doute devrions- nous accepter qu’elle puisse se réinventer en 2022, et nous tous avec elle. »


Sources : La Fracture, Fréderic Dabi avec Stewart Chau, Édition Les Arènes, 2021 ; France culture, l’invité des Matins du samedi ; Libération, « Cette génération se sent pleinement légitime à s’engager », Le Monde, Portrait d’une « génération désenchantée ».






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